mardi 3 décembre 2024
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De Hanoï à Saigon en douceur

HanoiPays filiforme bouleversé par les guerres, le Vietnam a l’oeil verdoyant et le coeur généreux. Entre la clameur de ses villes et le rythme plat de ses campagnes, il y a toutefois un curieux clivage. Comment trouver son chemin dans Hanoï et Saigon, cités suffocantes et survoltées ? Un secret : on s’y balade, lentement, et on tend l’oreille pour en capter les chants.​

On pourrait appeler cela un paradoxe heureux : en plein coeur de Hanoï, juste au sud de la vieille ville bouillonnante prisée des backpackers, se déploie un lac frémissant et lumineux où se presse, soirs et matins, l’ensemble de la ville — des touristes en nage, des vieillards en tenue de tai-chi, des grappes d’étudiants et de jeunes familles, plus discrètes. Pour le voyageur étourdi par la dureté du voyage, s’asseoir dans la brise permet de relativiser, si une telle chose est possible, le capharnaüm de la capitale.

 

Point de repère idéal, le lac Hoàn Kiêm est aussi au carrefour des principaux quartiers d’Hanoï.

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De là partent les grands axes de la ville, noyés dans le trafic, où il faut se jeter avec souplesse et nonchalance. Car, aussi rebutante soit la chaleur, oui, il faut marcher. Avec ses grands parcs, ses plans d’eau et ses avenues boisées, Hanoï est d’ailleurs plus verte et modérée que sa consoeur du sud, qui aboie littéralement sa marche vers le progrès.

Soyez rassurés : tout le monde se perd dans les rues de la vieille ville, un quartier traditionnel dont la trame resserrée fait figure de petit labyrinthe. Au XIIIe siècle, du temps des « 36 corporations », chaque rue avait un nom correspondant à son expertise commerciale — comme la soie (Hang Gai), les paniers (Hang Bo) et l’encens (Hang Huong). Les temps ont beau changer, le quartier perdure.

Histoire oblige, c’est ici le Vietnam des évidences. Des femmes à palanque passent, corps penché, avec l’équivalent de leur poids sur les épaules. Des conducteurs de cyclopousse vous hèlent, étendus sur le coussin défoncé de leur engin. Des brochettes carbonisent sur de petits grils. Les cris fusent. On vous interpelle. On vous frôle. En ce printemps-là, caniculaire, la chaleur est inouïe. On finira par chercher les temples, cachés derrière les noeuds de fils électriques, pour s’y réfugier dans un silence relatif. Comme partout au Vietnam, le temps y passe en suivant la cadence des ventilateurs

Experte en street food, Hanoï compte une panoplie de restaurants de rue qui donnent d’ailleurs le ton de la vie urbaine. Impossible de les manquer avec leurs chaises de plastique et leur carrelage parsemé de serviettes de papier, qui sera lavé à grande eau la nuit venue. Les travailleurs y aspirent des bols de pho fumants dès le petit matin, qu’ils troquent le soir pour une bia hoi, la bière locale. C’est là qu’on parle notre meilleur vietnamien en échangeant des sourires timides avec ceux qui, intrigués, nous observent.

 

Le temps de l’Indochine n’est jamais loin

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Mais Hanoï n’est pas que sa vieille ville, elle est aussi ailleurs, dans ses devantures coloniales, dans ses mille musées, dans les rues excentrées et le regard grave des Vietnamiens. Il y a partout une innommable nostalgie. Le temps de l’Indochine n’est jamais loin, pas plus que celui du Vietnam d’il y a bientôt 40 ans, enfin libéré mais au coeur encore ambigu.

À preuve : au petit café Kinh Do, où le tournage du film Indochine avait amené Catherine Deneuve au début des années 90, deux vieillards discutent en français. L’affiche du film, collée au mur, jaunit sous les brassées des trois ventilateurs. Dix minutes plus tard, une semblable résonance coloniale émanera du Musée des beaux-arts, suranné : avec ses volets de bois s’ouvrant sur une cour tropicale, l’endroit semble au beau fixe depuis son inauguration, en 1966, dans un ancien internat français des années 30.

Juste à côté du musée s’étend le plus bel endroit d’Hanoï : le Temple de la littérature. C’est ici, dans cette succession de cours aux pavillons millénaires, qu’a été fondée en 1076 la première université du pays. Des mandarins lettrés dispensaient à de jeunes garçons des cours mêlant confucianisme, littérature et poésie, pour en faire une nouvelle élite. Une heure avant la fermeture, dans la lumière divine du crépuscule, les groupes ont souvent évacué les lieux — règnent alors harmonie et philosophie dans l’espace retrouvé. Avec de la chance, vous tomberez sur la prière du soir avec gong, tambours et encens.

En prenant Pho Hang Dieu vers le nord, une série d’avenues austères et ombragées abritent le quartier des ambassades, charmant. Encore plus au nord, à 15 minutes en taxi ou en motocyclette, s’étend le lac Tay Ho, refuge des expatriés. Non seulement la splendide pagode Tran Quoc, construite au VIe siècle, est-elle plantée au bord du lac, mais le quartier se révèle aussi un modèle de calme où faire du vélo (avec les montures du Hanoi Bicycle Collective) et du yoga (coup de coeur pour le studio Zenith Yoga, qui fait aussi cantine végé).

À la tombée de la nuit, il faut revenir au lac Hoàn Kiêm : des lumières s’allument sur la promenade et attirent le Tout-Hanoï dans les pétarades de leurs motocyclettes. Comme la chaleur a baissé d’un cran, c’est l’occasion de se promener dans la foule en écoutant la rumeur urbaine — qu’on commence à aimer.

 

La patience du train

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Pour rejoindre Hô Chi Minh-Ville, à quelque 1700 kilomètres au sud, interdit de prendre l’avion : il faut traverser le pays à bord de L’Express de la réunification. Version aboutie du Transindochinois achevé en 1936, saboté durant les guerres puis retapé dans les années 60, il a repris du service en 1976 et symbolise l’union du Nord et du Sud.

Si vous avez pris une couchette, vous pourrez dormir dans le balancement du train. Si, coup de malchance, vous avez hérité d’un siège, vous ne dormirez pas. Tant mieux. Vous longerez la mer, jamais bien loin dans ce pays qui fait 50 kilomètres de large à son plus étroit, vous traverserez des vallons et des champs. Oui, même ravagées par la guerre, les campagnes du Vietnam sont encore debout.

 

Saigon, la démente

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Quand on traverse le Vietnam du nord au sud, les voyageurs rencontrés en chemin sont unanimes et péremptoires : Saigon, ça décoiffe. Rebaptisée Hô Chi Minh-Ville en 1975, la ville pousse en effet les hauts cris, lancée d’un seul souffle vers l’avenir. La métropole du Vietnam, moteur économique en construction, écrase jusqu’au piéton — qui traverse les carrefours rugissants avec la sueur au front. Et pourtant, la ville n’a pas que des dehors hostiles.

Huyen, amie d’un ami, s’improvise notre guide. Sur sa petite motocyclette, le flux urbain se fait plus cohérent. Hô Chi Minh-Ville en panoramique, c’est scanner à toute vitesse le fouillis des rues étroites et des avenues à la soviétique ; c’est compter les chantiers et les tours de Dong Khoi ; c’est humer les gaz d’échappement du petit millier de véhicules au feu rouge et voir passer, l’un après l’autre, ébahi, la vieille poste centrale, la cathédrale Notre-Dame, le mythique hôtel Continental, l’ancienne rue Catinat et le palais de la Réunification, arrêt obligé du voyageur. En accéléré, Hô Chi Minh-Ville a la beauté d’une sauvagesse. Sachant que partout, Saigon refait surface.

Bien que les possibilités d’espace soient plus rares qu’à Hanoï, la métropole accueille elle aussi ses poches d’air. Comme le parc Tao Dan, immense carré vert du centre où l’on s’assoit à toute heure du jour, même après l’orage. Outre le tai-chi en plein air, l’endroit appelle aussi de petits concerts improvisés sous les arbres — le conservatoire est d’ailleurs à côté.

Au musée Hô Chi Minh, l’escale est plutôt historique : installé dans un ancien palais aux parquets craquants et aux volets usés où se sont succédé les occupants — Français, Japonais, Vietnamiens — entre 1890 et les années 60, l’endroit est fabuleux. La nostalgie dont on parlait revient en force, la ville ayant disparu de l’autre côté des fenêtres ouvertes.

Plus loin, dans Pham Ngu Lao, insupportable quartier général des backpackers, le parc d’en face offre quant à lui une brèche — mais ce qu’on préfère, c’est le petit appendice du marché Thai Bin. Alignés dans une ruelle à la taille fine, des marchands soupèsent des fruits du dragon, équeutent des crevettes et découpent des durians. Une odeur de bouillon filtre des échoppes. On n’achète rien, on observe plutôt. Ça dure ainsi une cinquantaine de mètres, puis la ville se remet à crier. C’est un marché comme tant d’autres, rescapé, niché là où la ville le permet entre les hôtels et les tours à bureaux.

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Dernier arrêt, excentré mais indispensable : Cholon, le quartier chinois du sud-est de Saigon où Duras a campé L’amant. Après une bonne commotion au marché Binh Tay, un bâtiment de deux étages encombré de monceaux de marchandises hétéroclites, on parcourt les rues bruyantes des alentours, en route vers le chapelet de pagodes du coin. Vers une succession de petites paix, s’entend, le temple étant le coeur de la vie spirituelle vietnamienne.

Bientôt, par-dessus le parfum floral âcre et diffus des herboristeries chinoises traditionnelles, s’impose celui, familier, de l’encens. Dans la pagode Tam Son Hoi Quan, des femmes prient en silence dans les salles enfumées, les mains posées en éventail sur le front. L’une d’elle sourit à l’étrangère. Trois coins de rue plus loin, dans la pagode Quan Am, le soleil a descendu sur l’autel. Des chiens flânent, des tortues nagent dans un étang. Les fidèles, plus nombreux, plantent leurs bâtonnets d’encens en fermant les yeux. Même si elle répond de codes et de rites, la pagode est d’une désarmante simplicité.

Quand on revient dans le centre, un orage se prépare — c’est la saison des pluies, on l’attendait. À peine a-t-on le pied dans l’auberge que le déluge déferle. En attendant d’y retourner, car elle nous appelle constamment, on écrit sur les paradoxes de la ville vietnamienne. Sensible et fière, elle n’a pas dit son dernier mot.

Geneviève Tremblay

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