samedi 23 novembre 2024
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Tunisie : le tourisme veut se refaire une place au soleil

T2Secoué par la révolution, le tourisme de masse en Tunisie est en perte de vitesse mais il explore de nouvelles voies.

A cette époque de l’année, Hammamet est un désert. Un cocher fume en posant les yeux sur les terrasses immobiles de la station balnéaire, sa calèche désespérément vide. Dans une large avenue bordée d’hôtels aux arcades massives de béton, le vent soulève le sable du bitume en longues traînées. Les grains fouettent les mollets d’un couple de Russes en débardeur, souriant et insensible à la brise marine de novembre. Le soleil décline. La saison est terminée dans ce haut lieu du tourisme de masse tunisien, à moins d’une heure au sud de Tunis, la capitale.

Dans la fausse médina qui jouxte le parc d’attractions Carthageland, Ali, 53 ans, a un sourire résigné. Son stand sous les néons, “ça ne marche pas”. Il ne vend plus assez de darboukas fluos. Mais la saison n’est pas seule en cause. “Trente-cinq ans que je suis dans le tourisme, mais ce sont les pires années. On ne vit plus que pour se payer le pain”, lâche Ali. En face, Ridha, 34 ans, s’apprête à fermer définitivement sa boutique de bijoux. Il en marre de payer 1 800 dinars (soit 786 euros) de loyer. Il augmente de “10% chaque année, même s’il y a de moins en moins de touristes” et qu’ils ne dépensent rien.

 

Révolution et inquiétudes

En janvier 2011, la révolution a donné un sérieux coup d’arrêt au tourisme tunisien. Depuis le début de l’année 2014, le ministère du Tourisme a estimé que les visiteurs français, le plus gros contingent, étaient deux fois moins nombreux (-48%) à avoir séjourné en Tunisie par rapport à la même période en 2010. L’instabilité et la dégradation de la sécurité qui ont suivi la chute de Ben Ali n’ont pas joué en la faveur de la Tunisie. Du coup, le secteur court toujours après les 7 millions de touristes que le pays accueillait juste avant la révolution.

 

Mais le Premier ministre, Mehdi Jomaa, regrette aussi les discours anxiogènes. Il explique à francetv info que l’image de la Tunisie en France “n’a pas été toujours bonne”. “Pour une partie, parce qu’il y a eu des événements, mais pour une autre parce que la couverture [médiatique] n’a pas été très positive, détaille-t-il. La crainte n’était pas à sa place, aucun touriste n’a été touché par la révolution.” Mais il se rassure : “Les choses sont en train de changer, surtout avec la réussite des élections” qui se déroulent dans le calme.

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Problèmes structurels

Est-ce que ce sera suffisant ? Si le tourisme tunisien, secteur stratégique (il représente 7% du PIB et 400 000 emplois), a perdu de sa vigueur, c’est aussi qu’il se trouvait déjà dans une mauvaise passe avant les événements de 2011. “On s’était endormi sur nos lauriers”, relève Khaled Trabelsi, qui dirige l’agence foncière touristique au ministère du Tourisme. Il pointe des “problèmes structurels qui remontent à avant la révolution”.

 

Dans un mouvement initié sous la présidence de Bourguiba puis accentué avec Ben Ali, la Tunisie a créé de grandes stations balnéaires et bétonné une partie de son littoral. Les tour-opérateurs ont proposé des offres toujours moins chères. Hammamet, où la jet-set venait se délecter des lumières hivernales au début du siècle, a succombé au règne du “all inclusive”, qui attire de nombreux touristes en quête d’un soleil à bas coût. Aujourd’hui, le tourisme tunisien étouffe sous le dumping commercial pratiqué par les voyagistes étrangers. Dans son bureau, Khaled Trabelsi parle d’une Tunisie qui n’a pas su “varier son offre”. Pour Ali, le vendeur, cela se traduit par “des touristes qui n’ont pas d’argent et qui restent dans les hôtels”.

 

Absence de stratégie

Mouna Ben Halima ne s’embarrasse pas de manières pour fustiger l'”image catastrophique” du tourisme en Tunisie. Après avoir échangé avec son décorateur, cette femme d’affaires, qui a milité pendant la révolution, explique que “pendant 20 ans, on a cultivé la médiocrité”. Elle déplore “l’absence de stratégie” à Hammamet alors que le tourisme évoluait et la concurrence s’accentuait.

 

De nombreux hôtels sont surendettés et sous la présidence de Ben Ali, “l’Etat a payé leurs échéances et empêché les banques de saisir leurs biens. Le marché n’a pas été régulé de manière saine”, déplore-t-elle. Mais elle veut croire que le luxe a de l’avenir. Dans un climat morose, elle a repris, après étude de marché, un vaste hôtel d’Hammamet qu’elle a repensé et réaménagé pour attirer des clients fortunés dans ses 130 chambres au bord de l’eau.

 

Tourisme alternatif

Impossible de mesurer encore le succès du projet de Mouna Ben Halima qui ouvrira mi-décembre, mais elle n’est pas la seule à chercher un nouveau souffle au tourisme tunisien. Un Belgo-Tunisien, Sabri Oueslati, a ouvert il y a six ans une maison d’hôte dans une ruelle étroite d’Hammamet. Cet ancien consultant dans le domaine informatique, qui a tout plaqué pour tenter sa chance en Tunisie, se souvient qu’à l’époque, il faisait figure d’ovni. Intime, cachée et au design étudiée, sa maison immaculée est à l’opposé des grands complexes hôteliers d’Hammamet. Depuis l’ouverture, il a connu la crise financière, la révolution, mais son affaire est toujours debout. “Le projet marche, mais ce n’est pas avec que je peux gagner ma vie”, dit-il. Alors il a ouvert une agence de voyage pour s’en sortir.

 

Sabri Oueslati espère bien que ce “tourisme alternatif” va se développer comme au Maroc. Hyperactif, il participe notamment à un comité de pilotage du ministère du Tourisme qui œuvre en ce sens. Il phosphore sur une nouvelle stratégie visant à réformer l’institution, redorer l’image de la Tunisie, améliorer la qualité et diversifier l’offre en la modernisant.

 

Sans “abandonner le tourisme de masse”, la Tunisie cherche ainsi à attirer les touristes dans l’arrière-pays. Car l’un des ferments de la révolution tenait aux déséquilibres territoriaux entre un littoral prospère et des zones rurales marginalisées. “Ben Ali ne voulait surtout pas que les gens rentrent dans le pays, il fallait les maintenir en bord de mer. Même les Tunisiens ne savaient pas ce qui se passait en Tunisie”, abonde Sabri Oueslati. Ses yeux scintillent, il veut convaincre : “Nous sommes dans une Tunisie où tout est à construire et les choses peuvent aller très vite.”

Par Gaël Cogné

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