L’Afrique sera-t-elle le futur eldorado du transport aérien? Annoncé depuis longtemps, le boom du secteur, parsemé d’obstacles, tarde à se confirmer mais la croissance économique soutenue et une classe moyenne grandissante désireuse de voyager devrait bouleverser la donne dans les toutes prochaines décennies.
“Aujourd’hui, le transport aérien en Afrique pèse très peu à l’échelle mondiale : l’Afrique représente moins de 3% du trafic passagers mondial, alors qu’elle compte 15% de la population mondiale”, rappelle Bertrand Mouly-Aigrot, spécialiste du transport aérien au cabinet de conseils Archery Strategy Consulting.”Il y a donc (…) un potentiel de développement très important”.
Les prévisions de croissance du trafic aérien sont optimistes : +6,2% par an en moyenne pour les dix prochaines années, +4,9% pour la décennie suivante et +5,5% pour celle d’après, indique Boston Consulting Group.
“Ce continent talonne l’Asie et l’Asie Pacifique, régions déjà hyper dynamiques”, commente Sylvain Duranton, spécialiste du secteur au sein de ce cabinet.
Deux tendances caractérisent ce marché actuellement: des flux de trafic de plus en plus denses entre l’Afrique et le reste du monde qui attisent les convoitises des grandes compagnies comme Emirates ou Turkish Airlines et des dessertes intra-africaines médiocres, très chères, assurées par une cohorte de compagnies africaines non rentables aux flottes microscopiques à l’instar de Senegal Airlines ou la Camerounaise Camair-Co.
“Multiples barrières”
“Si toutes les principales villes africaines sont aujourd’hui desservies par des compagnies européennes, du Golfe voire chinoises, le transport aérien à l’intérieur du continent reste assez peu développé en raison de multiples barrières à commencer par des coûts très élevés: coûts d’assistance aéroportuaire en raison de monopoles, pétrole (30% plus cher au départ d’Afrique qu’au départ d’Europe), main d’œuvre parfois pléthorique, infrastructures aéroportuaires défaillantes”, résume Didier Bréchemier du cabinet Roland Berger.
Nombre d’acteurs du secteur tels que Hubert Frach, l’un des responsables commerciaux d’Emirates, déplorent également des marchés nationaux trop protégés.
“Aujourd’hui, un quart des lignes intra-africaines sont desservies par une seule compagnie”, précise Bertrand Mouly-Aigrot.
Certains estiment que libéraliser le ciel serait bénéfique. Des transporteurs africains reconnus tels que les cinq plus importants South African Airways, Ethiopian Airlines, Egyptair, Royal Air Maroc et Kenya Airways pourraient davantage contribuer à structurer un secteur morcelé.
“Partout dans le monde où cela (la libéralisation de l’aérien) a été fait, le commerce et le tourisme se sont développés”, argue M. Frach.
L’Association internationale du transport aérien (IATA), qui regroupe 250 transporteurs représentant 84% du trafic mondial, est sur la même ligne.Il y a quelques mois, son directeur, Tony Tyler, exhortait à appliquer réellement la décision de Yamoussoukro, déclaration d’intention commune de pays africains en faveur de la libéralisation du ciel adoptée il y a quinze ans.
Parallèlement, les autorités d’aviation civile doivent redoubler leurs efforts pour satisfaire aux exigences internationales en termes de sécurité aérienne qui ne relève pas seulement des compagnies.
“Sur les 16 pays qui figurent sur la liste noire de l’Union européenne, 13 sont en Afrique”, rappelle Bertrand Mouly-Aigrot.
Malgré cette myriade d’obstacles, les tendances de fond favorables au développement du trafic aérien sont réunies.
Le transport aérien est directement corrélé à la croissance économique. Or le produit intérieur brut croît de près de 5% en Afrique depuis cinq ans, souligne Sylvain Duranton.
La croissance démographique et l’urbanisation croissante soutiennent d’autant plus la demande en lignes aériennes que les distances sont importantes entre les grands centres urbains et que les alternatives à l’avion sont rares.
En outre, si la classe moyenne est déjà largement établie dans certains pays plus riches d’Afrique du Nord, du Sud ou au Nigeria, elle émerge de plus en plus dans les autres pays.
Et, “cette classe moyenne qui se développe a des standards de consommation similaires aux standards occidentaux”, constate M. Duranton, citant le taux de croissance des smartphones (plus de 15% par an), le taux de croissance du nombre d’utilisateurs de l’internet (30% par an).
Son appétence pour le transport aérien grandit avec le développement du tourisme en Afrique, qui est passé de 3% du tourisme mondial en 1980 à 6% aujourd’hui.
“On estime que la +consuming class+ va croître de 5% par an dans les années à venir”, poursuit M. Duranton.
“Nouvelle Chine proche de l’Europe”
Et c’est précisément cette clientèle que se disputent les grandes compagnies aériennes à commencer par Air France, l’une des plus anciennes présente sur ce continent.
“Notre défi est de conserver notre leadership des vols vers l’Europe et l’Afrique”, explique Frank Legré, directeur général Afrique du groupe franco-néerlandais Air France-KLM.
Les deux compagnies ont une part de marché de leader de l’ordre de 20% sur le trafic entre l’Afrique d’une part et l’Europe et l’Amérique du Nord d’autre part.
“La difficulté aujourd’hui n’est pas tant la concurrence entre compagnies européennes que celle exercée par les compagnies du Golfe et Turkish Airlines. (…) On constate un vrai développement du trafic vers Dubaï, vers Istanbul en raison de l’évolution des flux commerciaux et financiers”, à mesure que l’économie africaine s’ouvre au monde, dit-il.
Chez Emirates, Hubert Frach fait valoir que le hub de Dubaï “est parfaitement situé entre l’Est et l’Ouest, permettant au nombre grandissant de voyageurs africains d’expérimenter des temps de vols plus courts sur les routes vers l’Est avec une seule escale”.
Quant à Turkish, elle a fait de l’Afrique une priorité avec campagne de publicité à l’appui. “C’est la nouvelle Chine proche de l’Europe”, estimait récemment son PDG, Temel Kotil.
AFP