mercredi 24 avril 2024
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Victor Hugo et les voyages

V1Insatiable, Victor Hugo a voyagé tout au long de sa vie, s’inspirant des paysages étrangers pour façonner son œuvre.

Petit-fils d’un capitaine de navire, il est né à Besançon par le hasard des garnisons, son géniteur étant alors commandant. “Conçu” – comme lui écrira son père – sur le plus haut sommet des Vosges, le Donon, Victor Hugo est mort à Paris… avenue Victor-Hugo. Entre les deux, un long chapelet de villes, de paysages, en forme d’itinéraire poétique européen. Six semaines après sa naissance, le voici déjà embarqué pour Aix et Marseille. Les affectations du père ne pouvaient pas ne pas marquer l’enfant : Naples (où ses parents décident de se séparer), puis l’Espagne. Lors d’un séjour à Bayonne, en 1811, Victor assiste sept fois à la représentation du mélodrame Les ruines de Babylone et voit “poindre […] l’aube divine de l’amour” en compagnie d’une demoiselle à peine plus âgée. Ces souvenirs exotiques, on en retrouvera l’écho dans Les Orientales.

Rendu à sa mère, sur ordre de Joseph Bonaparte, le jeune Victor se retrouve en pension à Paris. L’évasion, la versification – et l’ambition – le démangent. Dans Hugo touriste (La Palatine, 1958), Pierre Miquel a raconté “les vacances d’un jeune romantique” en banlieue parisienne, de 1919 à 1924 : Issy, Sceaux, Montfort-l’Amaury, La Roche-Guyon, Dreux, Gentilly… A l’époque, la banlieue est appelée campagne, l’île Seguin ressemble à l’île de Robinson et Hugo prise les promenades en bord de Seine. En 1826, le jeune poète compose ses Odes et Ballades, rêveries d’un “fils du ciel”.

A l’âge de trente ans, marié et désormais célèbre, il s’installe place des Vosges (à l’époque place Royale). Il restera seize ans dans l’ancien hôtel de Rohan-Guéménée, typique du XVIIe siècle. Hugo est locataire d’un appartement du deuxième étage (la Maison Victor-Hugo telle que nous la connaissons s’est agrandie) mais les pièces sont vastes et les salons d’apparat donnent sur la prestigieuse place. “C’est Royal !” résume Alexandre Dumas venu lui rendre visite. Le maître des lieux y reçoit également Lamartine, Mérimée, Banville mais aussi Gustave Flaubert – qui confie à George Sand : “Il n’y a guère qu’avec Victor Hugo que je peux causer de ce qui m’intéresse.” Surtout, Hugo écrit place des Vosges ses grands drames (dont Ruy Blas) et une partie des Misérables.

 

Les voyages perpétuels

V2On connaît moins ses récits de voyage : Choses vues, Alpes et Pyrénées, France et Belgique. De chacune de ses escapades il rapporte dessins, peintures et notes. Comme celle-ci, prise sur le chemin de Saint-Sébastien : “Du haut d’une colline un âne regarde tout cela dans le mol abandon d’un mandarin lettré qui mange du charbon.”

Son ouvrage Le Rhin (1842), composé de “lettres à un ami”, résume le grand voyageur contemplatif qu’il était (avec une tendresse particulière pour les cathédrales), observateur pertinent et curieux avisé, capable de décrire aussi bien Strasbourg, Zurich, Lausanne, Bâle, Francfort ou Fribourg…

Tous les ans, Hugo accomplit un séjour d’un mois dans une région française ou un pays d’Europe, en compagnie de son amante Juliette Drouet. Il se rend à Genève, dans les Alpes, au pays Basque, en Picardie, en Champagne, dans les Ardennes.

En Allemagne, il griffonne dans les diligences, dessine au milieu des ruines, note ses comptes rendus dans les auberges, cherche désespérément un canif pour tailler sa plume… De chacun de ses périples il envoie des courriers aux êtres chers : sa femme Adèle, sa fille Léopoldine, ses amis Alfred de Vigny et Louis Boulanger. Il se trouve dans les Pyrénées quand Léopoldine meurt noyée, dans le naufrage de sa barque.

Après le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte (futur Napoléon III), en 1851, Victor Hugo est contraint à l’exil. Déguisé, il gagne Bruxelles en train. Il trouve à se loger dans la Maison du Pigeon, sur la Grand-Place. Mais son pamphlet Napoléon le Petit le rend persona non grata en Belgique et l’oblige à quitter le continent…

 

L’exil anglo-normand

Victor Hugo et les voyages

V3Hugo débarque sur l’île de Jersey en août 1852. Il écrit à son ami Luthereau : “Nous sommes ici dans un ravissant pays ; tout y est beau ou charmant. On passe d’un bois à un groupe de rochers, d’un jardin à un écueil, d’une prairie à la mer. Les habitants aiment les proscrits. De la côte on voit la France.” Installé à Marine Terrace, où il a réuni sa famille, il compose la plupart des poèmes recueillis dans Les châtiments et Les contemplations. Surveillé par le vice-consul de France, il n’en poursuit pas moins ses activités politiques. Le pestiféré est chassé de l’île trois ans après son arrivée, pour avoir osé soutenir des proscrits ayant tenu des propos irrévérencieux à l’égard de la reine Victoria.

Il refuse l’amnistie lui permettant de rentrer en France – et proclame la phrase désormais célèbre : “Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là.” Hugo restera donc dans les îles, cette fois-ci à Guernesey, plus au nord – et plus étroite – que Jersey.

Le 27 novembre 1855, il écrit à son éditeur Jules Hetzel : “J’habite au haut de la ville un nid de mouette ; je vois de ma fenêtre tout l’archipel de la Manche ; je vois la France d’où je suis banni, et Jersey d’où je suis expulsé.”

Le succès commercial des Contemplations lui permet enfin d’être propriétaire – pour la première fois de sa vie. En mai 1856, il acquiert une vaste et belle demeure lumineuse dominant la ville de Saint Peter Port, au sommet d’une falaise. “J’habite au bord de la mer une maison bâtie il y a soixante ans par un corsaire anglais et appelée Hauteville House”, racontera-t-il. Pour se sentir chez lui, Hugo s’implique totalement dans la décoration de son palais baroque. Il retaille les boiseries, fait poser des carreaux de faïence de Hollande, chine tentures cramoisies d’Inde, tapisseries de jais de Norvège et porcelaines chinoises. Il dessine et sculpte lui-même la plupart des meubles, notamment ceux de la fameuse galerie de chêne, dont les six fenêtres donnent sur le fort George. Le poète compare la lumière de la pièce à celle d’une “véritable forêt de chêne sculpté”. Sur l’un des fauteuils de la salle à manger, on peut lire cette inscription : “Les absents sont là.” La fontaine du jardin s’enrichit d’une autre inscription : “Où est l’esprit, là est la paix.” Charles, l’un des fils du poète, évoque une maison pareille à un “véritable autographe de trois étages, quelque chose comme un poème en plusieurs chambres”. Le jardin a des airs de paradis avec son demi-arpent de fleurs et de vertes pelouses, ses palmiers, son bassin tranquille où “deux honnêtes canards remplissent de leur mieux leur rôle de cygnes”, décrit encore Charles Hugo.

Madame Hugo écrit, dans sa biographie du maître : “Mon mari travaille le matin. Le déjeuner est à midi, c’est le moment de la conversation. […] Chacun va après de son côté : mon mari marche. […] Nous resterons, je crois, dans notre île de brouillard, nous y sommes habitués : quand on voit depuis longtemps les mêmes pierres, les mêmes visages, petit à petit, la patrie se refait.” Juliette Drouet a suivi son amant dans chacun de ses déplacements et trouve un cottage près de Hauteville House, où Madame Hugo ne daignera jamais la recevoir. L’exilé est néanmoins studieux. Outre une abondante correspondance, il écrit, en dix ans – de 1859 à 1869 – l’essentiel de son œuvre : La légende des siècles, Les misérables, L’homme qui rit et Les travailleurs de la mer, hommage au peuple des îles. Le démiurge a aménagé dans le grenier son cabinet de travail – appelé look-out – sous une serre. Il y écrivait debout, face à la mer.

 

Allers et retours

V5En 1869, Victor Hugo quitte Guernesey pour Bruxelles puis se rend en Suisse présider le congrès de la Paix. Rentré à Guernesey, il plante dans son jardin le “chêne des Etats-Unis d’Europe”. En août 1870, peu après la déclaration de guerre contre la Prusse, il dépose dans une banque de Guernesey une grande malle contenant ses manuscrits, soit vingt-trois recueils. De retour en France en septembre, il est accueilli triomphalement gare du Nord. Difficile, à partir de cette date, de le suivre à la trace. D’abord installé 5, avenue Frochot, il séjourne ensuite villa Montmorency à Auteuil, rue Pigalle, rue de Clichy… Les spécialistes recensent pas moins de dix-neuf domiciles parisiens. A peine élu député de Paris, le poète quitte la capitale assiégée pour Bordeaux, un sac en bandoulière – contenant ses manuscrits en cours.

Expulsé de Bruxelles en mai 1871 (pour avoir une fois de plus soutenu publiquement les communards), il trouve refuge au grand-duché de Luxembourg. De retour à Guernesey en 1872, il y écrit son dernier roman, Quatrevingt-Treize. Il y retourne encore en 1878, pour se reposer. Puis il s’installe, définitivement, en compagnie de Juliette Drouet, dans un hôtel particulier du XVIe arrondissement de Paris, au 130 (actuellement 120), avenue d’Eylau. Une avenue rebaptisée Victor-Hugo par un décret municipal daté de 1881. Ses amis peuvent ainsi lui écrire “à Monsieur Victor Hugo, en son avenue”. Le grand homme est l’un des seuls à avoir eu l’honneur de vivre dans un lieu à son nom – avant d’entrer dans la légende des siècles.

 

A visiter

V7Maison Victor Hugo : 6, place des Vosges, 75004. Dans ce beau musée fondé en 1903, on a reconstitué la chambre mortuaire de l’avenue Victor-Hugo et le salon chinois de Juliette Drouet à Hauteville Fairy. Entre autres curiosités, la table tournante des séances de spiritisme.

Hauteville House : île de Guernesey. Les héritiers ont conservé la “maison poème” en l’état et en firent don à la Ville de Paris en 1927. C’est désormais un musée ouvert au public.

Par Tristan Savin, L’Express

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