mercredi 24 avril 2024
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Inde : Le tourisme de l’atrocité, nouvelle sensation forte

mumbaiMumbai est l’une des destinations indiennes les plus convoitées par les touristes occidentaux. Connue pour être « la cité qui ne dort jamais », Bombay est aussi la ville qui héberge le cœur cinématographique de Bollywood, 70% des capitaux de l’économie indienne, mais aussi le plus grand bidonville d’Asie : Dharavi. Coup de cœur controversé des touristes, le Journal International a mené son enquête.

Reality tours and travel propose aux touristes de dépasser leurs préjugés occidentaux en organisant « la visite du bidonville pour une durée de deux heures, le guide promenant les visiteurs dans un labyrinthe de ruelles » selon Aujourd’hui l’Inde. La responsable du projet rajoutera dans le même article que « plus que du tourisme, [le] projet a une vocation sociale. Nous souhaitons réhabiliter l’image du quartier. Les gens travaillent très dur ici ». Pour Dhivyanshu – un étudiant en journalisme – « il est évident que ce que montre le tourisme social est avant tout une exhibition de la pauvreté de notre pays [l’Inde]. Je ne dis pas que de telles activités devraient être éradiquées pour de bon. Je pense qu’il serait judicieux de les restreindre à des travailleurs sociaux et des ONG d’autres pays dont l’unique but serait l’amélioration de la société. Personne ne devrait exploiter ce secteur avec l’intention de faire du profit ». Son point de vue ne s’arrête pas là, il ajoute même que ce tourisme devrait tourner à l’avantage des populations les plus appauvries en ce qui concerne leur élévation dans la société.

Bien sûr, si le projet paraît noble – notamment par le recul qui a été pris avant le lancement, le travail d’anticipation réalisé avec les populations locales, les fonds reversés (pour 80%) à des associations du coin et surtout par l’interdiction de prendre des photos – il ne l’est dans la forme que pour mieux convaincre. De son côté, Karthik reste partagé « c’est bien sûr dans la continuité d’exposer l’extrême pauvreté de l’Inde, mais ce pourrait également être une instrumentalisation politique qui bénéficierait alors à ceux qui demeurent dans de tels taudis. Cela mettrait en lumière la nécessité d’agir dans ces bidonvilles et surtout les besoins du peuple de Dharavi qui attirerait peut-être enfin des philanthropes et des travailleurs sociaux veillant à leur développement ». D’un autre côté, Harshil Deepak Ayyadurai, étudiant, reste cantonné à des positions extrêmes et répète qu’il n’y a rien de mal dans la réalité profonde des bidonvilles indiens.

 

« MISÈRE NOIRE. FAMINE. DÉFÉCATION DANS LA RUE. BIENVENUE À DHARAVI »

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« Misère noire. Famine. Défécation dans la rue. Bienvenue à Dharavi », aucune photo autorisée pour en montrer les aspects contrastés, mais des mots parfois plus durs que la réalité pour en témoigner. « Du tourisme responsable ? Certainement pas », écrit Clarissa Caldwell dans son article paru sur le site informatif Just Means. Par ailleurs, les chaînes de télévisions indiennes n’hésitent pas à cibler ce genre de « tourisme social » en le qualifiant de « poorism ».

Voyeurisme, image de la pauvre Inde avant tout pour plaire à ceux qui cherchent de l’exotisme dans la pauvreté, la ballade des touristes de Dharavi n’est au fond que celle de « parasites » venus de loin pour plus tard s’en vanter. Certains crient au crime contre l’humanité, les autres, au moins à la violation de la vie privée. Une visite éclair ne peut, d’un point de vue éthique, être qualifiée de responsable même quand on l’associe à du tourisme social.

 

Dans sa définition, le touriste voyage pour son plaisir, il est ainsi pervers de voir évoluer le tourisme vers une dimension à priori sociale. Après tout, « le touriste va toujours où va le touriste. Aux seules fins de pouvoir narrer chez lui à d’autres touristes des histoires de touristes », pour Fallet*. Là est d’ailleurs la différence entre le touriste et le voyageur. L’un est obligé de s’approprier le terme « social » en ajoutant ce mot pour le décrire tandis que l’autre est imprégné de cette notion. « Le voyageur est sensible et ouvert aux paysages et aux gens, le touriste ne l’est pas, le voyageur s’immerge volontiers dans la vie autochtone, le touriste se contente de rapports superficiels, (…) le voyageur privilégie les expériences profondes dans la durée, le touriste les expériences distractives et rapides (…), au retour, le voyageur saura raconter un vécu original ; le touriste, des banalités »**.

 

LE TOURISTE VOYAGE POUR SON PLAISIR

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En somme, le touriste fait un aller-retour à Dharavi dans le plus grand bidonville d’Asie simplement pour pouvoir clamer « oui, j’y suis allé ». Pire encore, les réactions ont permis d’entendre des réflexions comme « je m’attendais à voir pire, je pensais par exemple que les maisons seraient faites de tôle et non pas de structure si… permanentes. J’ai l’impression que ce n’était pas si horrible finalement », les touristes aspirent donc à découvrir l’atrocité, nouvelle sensation forte du XXIe siècle.

Adieu sauts en parachute, manèges à vitesse extrême ou encore les baptêmes ULM, désormais la passion du touriste est la misère humaine, cela devrait prendre au cœur. Cette adrénaline tient notamment du film Slumdog Millionnaire. Cette fiction à vocation bollywoodienne, teintée en partie de préjugés occidentaux. C’est l’Inde telle que certains touristes veulent la voir « passant d’une horreur à une autre ». « Ce sont des villes où (n’allaient) jamais les touristes, et les choses n’y changent (jamais) de place, pas plus que les mots dans les pages d’un livre »***. Pourtant eux, frissonnent de plaisir durant leurs vacances découvrant – sans s’y intéresser véritablement – ces bidonvilles, favelas, slums ou peu importe comment on les nomme.

Chacun de ces endroits est aujourd’hui exploité comme une potentielle mine d’or touristique. Comprendre la vraie vie des communautés pauvres ? Certainement pas le but premier de la manœuvre. A ce titre, James Melik reporter pour la BBC, cite l’un des habitants du district de Dharavi : « On voit passer les étrangers plusieurs fois par semaine. Parfois ils viennent et nous parlent, certains offrent un peu d’argent, mais nous ne recevons rien de ces tours organisés ».

Beaucoup d’Indiens ont tendance à gagner de l’argent loin de ce qui semble vraiment leur profiter. Mais exploiter les plus pauvres et entacher la réputation d’une nation sous un prétexte touristique paraît peu acceptable. Il serait même du devoir de ces agences de réformer ce lieu en le rendant meilleur. Pourtant, aux vues de l’argent gagné grâce à ces parcours touristiques, il est fort probable que ces entreprises ne veuillent même pas transformer Dharavi. C’est après tout l’amélioration des conditions de ce bidonville qui ferait fuir les touristes…

 

Traduit par Agathe Dumas et Florence Carrot

* René Fallet, Paris au mois d’août, prix Interallié Denoël, 1964.

** Bertrand Lévy, Voyage et tourisme. Malentendus et lieux communs, Le Globe,t. 144, 2004, pp. 123-136., Université de Genève.

*** Larbaud, Barnabooth, 1913.

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